Homélie du pape François à Sainte Marthe � 6 avril 2020

Homélie du pape François à Sainte Marthe � 6 avril 2020

Je pense aujourd’hui à un problème grave que l’on retrouve dans de nombreuses régions du monde : je voudrais prier pour le problème de la surpopulation carcérale. Là où existe ce danger, pendant cette pandémie, le risque est qu’il se transforme en catastrophe. Prions pour les responsables, pour ceux qui doivent prendre les décisions opportunes dans ce domaine, afin qu'ils trouvent une manière juste et créative de résoudre le problème.

 

L’évangile d’aujourd’hui se termine par une observation : Les grands prêtres décidèrent alors de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de Juifs, à cause de lui, s’en allaient, et croyaient en Jésus.

Nous avons déjà parlé, l'autre jour, des étapes de la tentation : une idée, une séduction initiale, qui grandit ensuite, et, troisième étape, qui se justifie. Mais il reste une étape, car la tentation ne s'arrête pas là. Nous lisons dans l’évangile que les grands prêtres pensent qu’il ne suffit pas de mettre Jésus à mort, ils veulent tuer Lazare aussi, car il est un témoin de la vie.

Mais je voudrais aujourd'hui m'attarder sur une parole de Jésus. L’évangile nous dit que six jours avant Pâques – nous sommes aux portes de la Passion — Marie va poser un geste de contemplation : Marthe servait et Marie ouvre la porte à la contemplation. Judas, lui, pense à l'argent et aux pauvres, non par souci des pauvres, mais parce que c’était un voleur : comme il tenait la bourse commune, il prenait ce que l’on y mettait. Cette histoire de l'administrateur infidèle est toujours d'actualité, il y en a toujours, même à haut niveau : pensez à certaines organisations caritatives ou humanitaires qui ont un grand nombre d'employés, avec une grosse structure, et au bout du compte les pauvres ne reçoivent que 40% de l’argent, le reste (60%) servant à payer le salaire du personnel. C'est une façon de prendre l'argent des pauvres. Je voudrais m’arrêter sur la réponse est Jésus : Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous. Cela est bien vrai. Les pauvres sont là. Ils sont nombreux. Il y a les pauvres que nous voyons, mais le plus grand nombre de pauvres sont ceux que nous ne voyons pas : les pauvres cachés. Et nous ne les voyons pas parce que nous sommes entrés dans cette culture de l'indifférence, négationniste, et donc nous nions : "Non, non, ils ne sont pas si nombreux, on n’en voit pas tant que ça ; oui, il y a bien tel ou tel cas...". On diminue toujours la réalité des pauvres. Mais il y en a beaucoup, beaucoup.

Et même si nous n'entrons pas dans cette culture de l'indifférence, on s’habitue à voir les pauvres, ils font en quelque sorte partie du décor. Il y en a, dans les villes, comme il y a des statues. Oui, il y en a et on les voit ; comme cette petite vieille qui mendie, ou cette autre ... On dirait que c’est une chose normale. Cela fait partie de la vie de la cité d'avoir des pauvres. Mais la grande majorité des pauvres sont les victimes des politiques économiques et financières. Les statistiques le résument en disant qu’il y a beaucoup d'argent dans les mains de quelques-uns et beaucoup de pauvreté dans les mains d’un grand nombre, d’un grand nombre. C'est la pauvreté de toutes ces personnes qui sont victimes de l'injustice structurelle de l'économie mondiale. Et il y a aussi beaucoup de pauvres qui ont honte de faire savoir qu'ils n'arrivent pas à boucler la fin du mois ; tant de pauvres des classes moyennes, qui vont en cachette dans des structures de bienfaisance, qui mendient en cachette car ils ont honte. Les pauvres sont bien plus nombreux que les riches, beaucoup plus nombreux... Ce que Jésus dit est vrai : Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous. Mais est-ce que je les vois ? Suis-je conscient de cette réalité ? Surtout de cette réalité cachée de ceux qui ont honte de dire qu'ils n'arrivent pas à boucler la fin de mois.

Je me souviens qu'à Buenos Aires, on m'avait parlé d'une usine désaffectée, vide depuis des années, qui était habitée par une quinzaine de familles arrivées au cours des derniers mois. J'y suis allé. C'étaient des familles avec des enfants, et chaque famille occupait une partie de cette usine pour y vivre. Et j'ai pu observer que chaque famille avait de bons meubles, des meubles de classe moyenne, ils avaient la télévision, mais s’ils étaient là c’est parce qu'ils ne pouvaient pas payer de loyer. Les nouveaux pauvres doivent quitter leur maison parce qu'ils ne peuvent pas la payer, alors ils vont là. C'est l’injustice de l'organisation économique ou financière qui les met dans cette situation. Ils sont nombreux, très nombreux, et lors du Jugement, nous les retrouverons. C’est la première question que Jésus nous posera : "Qu’as-tu fait des pauvres ? Les as-tu nourris ? Quand ils étaient en prison, leur as-tu rendu visite ? Et à l'hôpital, es-tu allé les voir ? As-tu aidé la veuve et l'orphelin ? Parce que j'étais là". C'est sur cela que nous serons jugés. Nous ne serons pas jugés sur le luxe ou sur les voyages que nous avons fait, ni pour notre position sociale. Nous serons jugés sur notre relation avec les pauvres. Car si, aujourd'hui, j'ignore les pauvres, si je les laisse de côté en pensant qu’il n’y en a pas, le Seigneur m'ignorera au jour du Jugement. Quand Jésus dit : Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous, il veut dire : "Je serai toujours avec vous dans les pauvres. Je serai là". Et cela ce n'est pas du communisme, c'est le centre de l'Évangile : nous serons jugés sur ce point.