Homélie du pape François à Sainte Marthe � 28 mars 2020

Homélie du pape François à Sainte Marthe � 28 mars 2020

Ces derniers jours, dans certaines régions du monde, les conséquences – certaines conséquences – de la pandémie sont devenues évidentes ; l'une d’elles est la faim. On commence à voir des gens qui ont faim, parce qu'ils ne peuvent pas travailler, faute d'emploi stable, et pour tant d’autres raisons. Nous commençons déjà à entrevoir l’après, qui viendra plus tard mais qui commence maintenant. Nous prions pour les familles qui commencent à être dans le besoin à cause de la pandémie.

 

Puis ils s’en allèrent chacun chez soi : après la discussion racontée au début de l’évangile, chacun campe sur ses positions. Le peuple est divisé : d’un côté les gens qui suivent Jésus et l'écoutent – sans même se rendre compte du temps qu’ils passent à l'écouter, car la Parole de Jésus entre dans leur cœur – et de l’autre, le groupe des docteurs de la Loi qui rejettent a priori Jésus car, selon eux, il n’agit pas selon la loi. Deux groupes de personnes : le peuple qui aime Jésus et le suit, et le groupe des intellectuels de la Loi, les dirigeants d'Israël, les chefs du peuple. C'est clairement exprimé dans ce passage : Les gardes revinrent auprès des grands prêtres et des pharisiens, qui leur demandèrent : « Pourquoi ne l’avez-vous pas amené ? » Les gardes répondirent : « Jamais un homme n’a parlé de la sorte ! » Les pharisiens leur répliquèrent : « Alors, vous aussi, vous vous êtes laissé égarer ? Parmi les chefs du peuple et les pharisiens, y en a-t-il un seul qui ait cru en lui ? Quant à cette foule qui ne sait rien de la Loi, ce sont des maudits ! ». Ce groupe des docteurs de la loi, l'élite, méprise Jésus. Mais ils méprisent aussi le peuple, cette foule, "ces gens", ignorants, qui n’y comprennent rien. Le saint peuple, fidèle à Dieu, croit en Jésus et le suit, mais ce petit groupe d'élites, les Docteurs de la Loi, se sépare du peuple et ne reçoit pas Jésus. Mais comment cela est-il possible puisqu’ils étaient instruits et intelligents ? Ils avaient un grand défaut : ils avaient oublié qu’ils appartenaient à un peuple.

Le peuple de Dieu suit Jésus ... ils ne savent pas expliquer pourquoi, mais ils le suivent, cela leur va droit au cœur et ils ne s’en lassent pas. Pensons à la multiplication des pains : ils ont passé toute la journée avec Jésus, au point que les apôtres disent à Jésus : Renvoie-les : qu’ils aillent dans les campagnes et les villages des environs s’acheter de quoi manger. Les apôtres eux-mêmes prennent leur distance, ils ne méprisent pas le peuple mais ils se débarrassent du problème : qu’ils aillent dans les campagnes et les villages des environs. Mais Jésus répond :  Donnez-leur vous-mêmes à manger. Il leur confie le peuple.

Ce fossé entre l'élite des chefs religieux et le peuple est une tragédie qui vient de loin. Pensons, dans l'Ancien Testament, à l'attitude des fils et des filles d’Élie dans le temple : ils se servaient du peuple et lorsque certains, un peu athées, venaient pour accomplir la Loi, ils disaient : "Ils sont superstitieux". Ils méprisaient le peuple : “ils n’ont pas d’éducation ; nous, nous avons étudié, nous savons...”. La grande grâce du peuple de Dieu est au contraire son flair. Ils savent où se trouve l'Esprit. Ils sont pécheurs, comme nous, mais ils ont ce flair pour connaître les voies du salut.

Le problème de cette élite, c'est qu'ils avaient perdu la mémoire de leur appartenance au Peuple de Dieu ; ils sont devenus compliqués, ils ont changé de classe sociale, ils se sont pris pour des leaders. C'est du cléricalisme, il existait déjà. "Mais comment se fait-il – je l'ai entendu dire ces jours-ci – que ces religieuses, ces prêtres en bonne santé apportent de la nourriture aux pauvres, alors qu’ils peuvent attraper le coronavirus ? Mais dites à la Mère Supérieure de ne pas laisser les religieuses sortir, dites à l'évêque de ne pas laisser pas les prêtres sortir ! Qu’ils s’occupent des sacrements ! Laissez le gouvernement s’occuper de ça !". Voilà de quoi on parle ces jours-ci : L’histoire se répète : "c’est le peuple ; nous, nous sommes la classe dirigeante, nous n’avons pas à nous salir les mains avec les pauvres".

Je me dis souvent : ce sont des gens bien – les prêtres, les religieuses – et ils n'ont pas le courage d'aller servir les pauvres. Il y a quelque chose qui ne va pas. C’était le même problème avec les Docteurs de la loi. Ils ont perdu la mémoire, ils ont perdu ce que Jésus ressentait au fond de son cœur : qu'il faisait partie de son peuple. Ils ont perdu le souvenir de ce que Dieu a dit à David : "Je t'ai pris du troupeau". Ils ont oublié qu’ils font partie de son troupeau.

Puis ils s’en allèrent chacun chez soi. C’est la rupture. Nicodème, qui se rendait compte de ce qui se passait – c'était un homme inquiet, pas très courageux peut-être, un peu trop diplomatique, mais inquiet – est alors allé voir Jésus, car il faisait son possible pour être fidèle, et il a essayé de servir de médiateur en utilisant la Loi Notre Loi permet-elle de juger un homme sans l’entendre d’abord pour savoir ce qu’il a fait ? Mais ils lui répondirent : « Serais-tu, toi aussi, de Galilée ? Cherche bien, et tu verras que jamais aucun prophète ne surgit de Galilée ! » Et ils en sont restés là….

Mais pensons aussi, aujourd'hui, à tant d'hommes et de femmes qui sont au service de Dieu, qui sont bons et vont servir le peuple ; à ces prêtres qui restent près de leur peuple. Avant-hier, j'ai reçu la photo d'un prêtre, curé de plusieurs villages de montagne où il avait beaucoup neigé, et qui est parti dans la neige avec un ostensoir pour bénir les gens. Il ne s’est pas soucié de la neige, ni du froid qui lui brûlait les mains à cause du métal de l'ostensoir. Il n’avait qu’un souci : apporter Jésus au peuple.

Réfléchissons, chacun de nous : de quel côté est-ce que je nous nous situons ? Indécis, dans un consensus mou, ou est-ce que nous partageons les sentiments du peuple de Dieu, du peuple fidèle qui ne peut pas échouer parce qu’il possède cette infaillibilitas in credendo. Et pensons à l'élite qui se détache du peuple de Dieu, à ce cléricalisme. Peut-être pouvons-nous profiter du conseil que Paul donne à son disciple, le jeune évêque Timothée, et qui nous fera du bien à tous : J’ai souvenir de la foi sincère qui habitait d’abord Loïs, ta grand-mère, et celle d’Eunice, ta mère, et j’ai la conviction que c’est aussi la tienne. Souvenez-vous de votre mère et de votre grand-mère. Si Paul donnait ce conseil, c'est parce qu'il connaissait bien le danger de cet élitisme chez nos dirigeants.

 

Prière pour la communion spirituelle :

Je me prosterne à Tes pieds, ô mon Jésus, et je T'offre le repentir de mon cœur contrit qui s’abaisse dans son néant en Ta sainte présence. Je t'adore dans le sacrement de Ton amour, l'Eucharistie. Je désire Te recevoir dans la pauvre demeure que t'offre mon cœur. En attendant le bonheur de la communion sacramentelle, je veux Te posséder en esprit. Viens à moi, ô mon Jésus, et que moi je vienne à Toi. Que Ton amour enflamme tout mon être pour la vie et la mort. Je crois en toi, j'espère en toi, je t'aime. Amen.